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Une marche à travers l'Europe

(en cours)
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
randonnée/trek
Quand : 19/02/23
Durée : 400 jours
Distance globale : 6479km
Dénivelées : +181365m / -179470m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK le 08 oct. 2023
modifié le 06 mai
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions : Pour me rendre au départ : bus de Bordeaux à Tarifa. Pour le retour : en voilier par la méditerranée ?
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Vue d'ensemble

Le topo : Les Alpes : Locarno > Sorico (mise à jour : 08 oct. 2023)

Distance section : 78.4km
Dénivelées section : +4235m / -4426m
Section Alti min/max : 195m/2406m

Description :

10/08/2023 > 16/08/2023
81 km ; D+ 5,2 km ; D- 5,4 km

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Le compte-rendu : Les Alpes : Locarno > Sorico (mise à jour : 08 oct. 2023)

Depuis mon beau spot de bivouac au-dessus du laggo Maggiore, je dessens à Locarno en Suisse. Je suis vite désespéré par l'abondance de voitures de luxe dans lesquelles on pavane pour montrer sa richesse. Je fais quelques courses, profite du wi-fi dans un bar, et m'en vais. Je longe une partie du lac en slalomant dans la masse de touristes venus de loin pour se relaxer au bord du lac, malgré l'incessant flux de voitures et motos rutilantes juste derrière. D'habitude lorsque je passe par une ville ou un village, je plie mes bâtons, retire ma capuche, mes lunettes et mes mitaines même s'il y a du soleil, rabaisse mes chaussettes hautes, retire mes chaussettes de la veille qui sèchent sur mon sac, pour avoir l'air moins randonneur et plus accessible. Là je reste en mode sportif et trace ma route, comme invisible. Sur la carte l'endroit donne envie, mais pas en réalité. Je fais une longue journée de plat entre Locarno et Bellinzona à 25 kilomètres avant de remonter dans les montagnes le lendemain. C'est le genre de journée qui a du sens du fait que je traverse l'Europe à pieds, c'est mon cadre, ça fait partie du jeu, car je marche toute la journée en plein soleil au bord des voitures et des embouteillages. C'est étrange comme alors qu'une journée de 25 kilomètres sur du plat me serait à priori facile, celle-ci m'épuise. Il n'est pas rare que je parcours la même distance en montagne avec effort mais sans difficulté, et là curieusement je peine, j'arrive éreinté à la fin. J'ai une chance et une motivation : je sais que j'ai un hébergement et un contact humain chaleureux à la fin. Je suis hébergé chez Matteo rencontré il y a quelques jours dans le Val Grande, Jessica et leur bébé, qui m'offrent une grande hospitalité. Nous passons une bonne soirée qui ne s'éternise pas avec notre fatigue partagée.

Le lendemain je remonte et repasse en Italie. 2300m de D+ d'une traite avec 5 jours de nourriture dans le sac. En prenant de l'altitude je retrouve progressivement une nature paisible et regarde avec hauteur et recul Bellinzona, Locarno, le laggo Maggiore, et cette grande vallée traversée par un important axe routier. J'ai alors une sensation de décalage, un regard particulier sur là où je suis et ce que je vois. Je marche dans des espaces accessibles à tout le monde avec un mode de déplacement accessible à tout le monde. Je n'ai donc pas accès à des lieux privilégiés, mais ce cadre de vie est un privilège gratuit et paradoxal qui me procure un regard différent, propre à moi bien sûr, mais je crois aussi plus exhaustif et réaliste. Voir cette vallée de haut depuis la montagne me donne la sensation de voir Metropolis, une vision de science-fiction avec son côté dystopique. Cet amat de bâtiments, de routes, entièrement goudronné et quadrillé bien qu'entouré d'espaces naturels. Lorsqu'on est dedans, tout s'y passe, et l'on regarde les montagnes de loin comme un tableau, une photo en deux dimensions dans laquelle on peut éventuellement aller se ballader. En sortant de cet univers, la chose s'inverse : il existe ici et là au milieu des montagnes et des forêts, des îlots denses d'urbanisation qui ne font franchement pas rêver. On en oublie ce qui nous entoure et dont nous faisons partie. C'est un regard qui me paraît naïf et imprécis en l'écrivant, mais qui devient réel et sincère en vivant dehors et en traversant une partie du monde tel qu'il est. Arrivé au col, je vois à nouveau de l'autre côté un grand lac et une longue vallée plate et urbanisée : le lac de Como et la vallée de Valtenine. Je pourrais y descendre directement, mais je vais continuer à progresser en altitude et descendrai plus loin au bord du lac dans quelques jours. Aujourd'hui j'hésite à bivouaquer au bord d'un beau lac d'altitude dans un coin paisible, mais continue finalement vers un vieux bivacco où j'arriverai pour le coucher du soleil après une longue journée de marche. J'ai bien fait : j'y rencontre deux Stefano avec qui je passe une très bonne soirée. Ils ont allumé un feu dehors autour duquel nous passons la soirée confortablement assis sur des chaises. Un grand moment de détente du corps et de l'esprit : une bonne atmosphère humaine, un coin beau et paisible, le rayonnement du feu qui réchauffe, et au-dessus de nous un magnifique ciel étoilé régulièrement traversé par des étoiles filantes. Bien qu'ayant sommeil, j'ai du mal à m'arracher à ce moment de grâce pour finalement aller dormir. Ce soir j'aime faire ce constat : dans la même journée, je me reveillais ce matin dans le lit confortable d'un appartement et prenais un petit-déjeuner en compagnie d'une famille italienne adorable ; ce soir je suis en pleine montagne, relaxé au coin du feu sous les étoiles, complètement ailleurs et dans une autre atmosphère.

Les jours suivants, j'arpente les hauteurs de ce massif qui sépare les deux vallées. Il y a régulièrement des bivaccos qui font que ce massif est bien fréquenté par les locaux qui viennent marcher à la journée où sur quelques jours. Mes muscles et mes articulations ont besoin d'une journée complète de repos. La dernière remonte à Bourg-Saint-Maurice. Je m'arrête donc deux nuits et une journée et demi au bivacco Zebb, un bivacco construit récemment, super confortable et fonctionnel, avec des matelas, une source à côté, du gaz, du café et des vivres en quantité laissées par les précédents. J'aime ces jours de pause avec un chez moi que je m'approprie, l'excitation du vide et de ce temps off à disposition, la liberté d'en faire ce que je veux. Ces journées offrent l'espace-temps et l'ennui nécessaires à certaines activités comme écrire. Je me repose, je mange, je regarde, je ne fais rien, je m'égare dans mes pensées, je lis, j'écris, je potasse mon itinéraire. En général, la journée passe vite. M'arrêter me permet aussi de ressentir l'envie de repartir, comme pour vérifier que j'en ai toujours envie malgré les moments d'ennui, de doute ou de lassitude. Après une journée et demi de pause, je marche une journée et arrive au bivacco Petazzi qui surplombe et offre une belle vue sur le lac de Como. J'y passe une nuit, et le lendemain matin je décide d'y rester finalement pour une nouvelle journée de pause et une deuxième nuit. Ce n'est pas un besoin mais une envie du moment. Après tout je n'ai pas d'impératif ni d'objectif de performance. Je suis libre de décider à chaque instant, encore faut-il parvenir à écouter mes envies du moment présent et m'autoriser à changer mes plans, un apprentissage.

Depuis ce dernier bivacco dans ce massif, je descends au Nord du lac de Como. Le matin, je passe par de nouveaux passages techniques avec des chaînes qui permettent de franchir des cols étroits et rocailleux. J'ai franchi beaucoup de ces passages techniques et délicats ces derniers jours, qui nécessitent concentration et "pied montagnard". J'ai ma dose pour un moment. Je décide de couper en descente pour rejoindre un sentier plus loin et m'affranchir d'une dernière section escarpée sur les crêtes. Je longe une rivière splendide qui ruisselle sur des rochers lisses et plats semblables à du marbre, striés par des teintes colorées. Je saute d'un rocher à un autre, et succombe à un de ces nombreux spots de baignade naturels. Dans un coin où personne ne vient, je me baigne nu dans l'eau froide et prend un bain de soleil sur une terrasse de marbre. Plus loin je rejoins le sentier repéré dont il reste seulement des traces. Un orage arrive derrière moi, il vient bien dans ma direction. Il me passe dessus puis me dépasse. Je traverse une forêt où je retrouve enfin un vrai sentier molletonnée de sous-bois, on se croirait déjà en automne. Puis j'arrive au-dessus du lac de Como et vois la pluie et les éclairs tomber sur le lac, j'ai un beau point de vue sur ce spectacle. L'orage ne fait pas du bruit uniquement lorsque les éclairs éclatent, il y a un grondement constant dont l'intensité varie comme des vagues. Cela crée une ambiance lugubre et captivante. Je finis par une descente hypnotisante à travers des villages et arrive à Sorico au bord du lac. Je m'offre un nouveau triptyque camping-pizza-bière, mais je crois que c'est le camping de trop. Je me retrouve à planter mon tarp sur un sol caillouteux, coincé entre trois camping-cars et l'allée centrale. Il n'y aucune tente, que des camping-cars et des mobil-homes qui ressemblent plus à des appartements modernes. J'attire les regards en dormant sous un simple tarp de 300g et d'un mètre sur deux où l'on peut voir par dessous. Quand je passe une nuit en ville, je n'ai pas envie de me cacher et d'être radin, je vais généralement au camping voire à l'hôtel. Mais là j'en ai marre, c'est toujours pareil : 20€ pour avoir le droit de dormir entre des camping-cars et prendre une douche, alors que ce serait le même prix à deux avec une voiture et une grosse tente. Au final je serais mieux dans un coin à l'abri des regards et tant pis pour la douche chaude, même si ce n'est pas ce que je souhaite comme démarche. Ce soir à nouveau je peux retracer le fil de la journée et me rappeler toutes les ambiances vécues : réveil dans un bivacco en altitude, passages techniques montagneux, baignade dans une rivière de marbre, sentier herbeux disparu, orage dans les fougères, sous-bois d'automne, éclairs sur le lac, villages, pizzeria, camping. Toute cette diversité en me déplaçant à pieds, signe d'une journée réussie.

Vue sur Bellinzona après une journée de plat dans la vallée.
Vue sur Bellinzona après une journée de plat dans la vallée.
Les nuages et l'éclairage du matin depuis un col, voilà qui mérite de partir de bonne heure.
Les nuages et l'éclairage du matin depuis un col, voilà qui mérite de partir de bonne heure.
Le bivacco Petazzi et sa vue panoramique sur le lac de Como et les alentours.
Le bivacco Petazzi et sa vue panoramique sur le lac de Como et les alentours.
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