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Extraterrestre CA50 : Savoir progresser

par L'extraterrestre dans Extraterrestre 22 déc. 2017 mis à jour 18 févr. 2018 387 lecteurs Soyez le premier à commenter
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Extraterrestre CA50 : Savoir progresser

Savoir progresser 

Petit enfant, l’homme découvre son univers, il a tout à apprendre, et il apprend tout ! Personne ne lui a mis de barrières dans la tête, sur son intelligence, ses capacités… Il apprend des quantités incroyables de choses. Puis, progressivement, on va le noter, le niveler par rapport à ses camarades. On va lui apprendre sa « valeur ». Combien d’adultes s’estiment mauvais en ceci ou en cela, incapables de faire certaines tâches, alors que pourtant, durant tout leur apprentissage de la vie, ils auront certainement appris des choses bien plus compliquées. Un exemple assez frappant est l’approche de la jeune génération par rapport aux nouvelles technologies. Leur candeur leur permet de les appréhender sans frein, et de facto, les jeunes les maitrisent très vite, et très bien. L’individu plus âgé va souvent être plus réfractaire, plus inquiet, face à ces nouveautés. Il risque d’avoir peur de se sentir dépassé, de ne pas être à la hauteur. Pourtant ses capacités cognitives sont aussi développées – voire plus, puisqu’il a de l’expérience – que celles des jeunes.
Alors que se passe-t-il dans les mécanismes d’apprentissage et de progression ? C’est une question complexe, il serait bien ambitieux de penser y apporter une réponse ici, mais on peut essayer d’identifier quelques éléments. Le système de notation et d’évaluation des individus, prégnant dans nos sociétés, est inculqué très tôt, dès les premières années d’école. Il en résulte une rétroaction négative : l’auto jugement. Dès qu’on a l’impression d’être mauvais, on se bloque (car on nous a appris qu’on ne doit pas « mal faire »), l’ensemble des capacités d’apprentissage sont dégradées par cette vision négative que l’on peut avoir de soi et de ses actions.
Qu’est-ce qui peut nous pousser tout de même à dépasser ces limites ? La compétition inculquée aux enfants est un mécanisme efficace, qui valorise les « gagnants », mais fait une quantité énorme de « perdants » (qui sont les victimes de ce système).

Pourtant l’un des mécanismes les plus puissants de l’apprentissage est le jeu (qui est aussi utilisé par nombre d’autres espèces lors de leurs processus d’apprentissage). Et lui ne fait pas de victime. Apprendre en s’amusant, se jouer des peurs qui nous freinent, tenter des choses, les retenter, échouer, ré-échouer, parce que l’échec n’est pas cette valeur qu’on nous a enseignée comme mauvaise et à éviter, bien au contraire c’est un important élément d’apprentissage ; on n’apprend pas sans faire l’expérience de l’échec, ou on apprend mal. L’enfant ne nait pas avec la notion d’échec, il vit seulement des apprentissages qui nécessitent la répétition. Comme les choses qu’il apprend à maitriser sont complexes, il va forcément échouer nombre de fois – mais sans vivre la « valeur négative » de l’échec –, et réessayer jusqu’à finalement réussir et acquérir la compétence (la marche, le langage, le vélo, la nage… sont des exemples de ces apprentissages longs et parsemés d’échecs formateurs). Et puis, les échecs, c’est aussi un jeu :-).

Un autre moyen de progresser est d’identifier ses peurs. Bien souvent, lors d’un apprentissage, on a des craintes, plus ou moins conscientes. Ces peurs, une fois cernées, peuvent servir d’élément de jeu : on peut tenter de faire exactement ce qui nous fait peur, et de cette façon, les apprivoiser. Bien souvent ce sont elles qui forment les murs qui occultent notre horizon d’apprentissage. Les explorer, jouer, les escalader, rouvre considérablement notre champ des possibles. Concrètement ces peurs sont par exemple la crainte de ne pas y arriver, de ne pas être capable (ah bon et pourquoi ?). D’autres peurs peuvent être plus concrètes, comme à VTT par exemple, la peur de la chute. L’idée de cette chronique m’est venue lors d’une séance d’apprentissage de « roue arrière ». Bon ok, c’est vraiment terre à terre, mais tout de même, les phénomènes observés sont intéressants. Rouler sur la roue arrière nécessite de jouer avec la peur de basculer en arrière (et de tomber sur le dos comme une grosse saucisse, paf, aïe). Si on donne trop d’importance à cette peur, qu’on la croit tout à fait raisonnable, et qu’on l’écoute, alors on n’arrivera jamais à rouler plusieurs dizaines de mètres sur la roue arrière (ça vous fait une belle jambe… mais c’est juste un exemple :-)). Mais si on identifie cette crainte comme le phénomène bloquant de l’apprentissage et qu’on va justement jouer à s’approcher de cette limite, voire essayer de la dépasser, comme ça, pour rigoler, eh bien, comme par magie, on s’approche du bon geste technique, les verrous sautent comme par enchantement.
Autre élément important, la répétition du geste, l’essai/erreur reproduit des centaines de fois, motivé par le simple plaisir du jeu, le plaisir de l’exploration de notre univers proprioceptif. Mais qui se trouverait stérilisé par un « auto jugement » issu des échecs que l’on va forcément rencontrer lors de cet apprentissage.
Il me plait de croire que l’apprentissage facile n’est pas une capacité réservée à la jeunesse, mais plutôt qu’on continue d’avoir cette faculté tout au long de notre vie, même si elle est souvent muselée par la mauvaise perception de l’échec et notre autoévaluation permanente.

L’extraterrestre

Lettre à l'Extraterrestre

Note de la rédac' de Carnets d'Aventures : après la parution de Carnets d'Aventures #50 contenant ce point de vue de l'Extraterrestre, nous avons reçu le courrier de Charles, que nous vous livrons ci-dessous.
Merci à toi Charles !

Bonjour,
Je vous écris concernant la rubrique du point de vue de l'Extraterrestre du dernier numéro sorti en janvier 2018 : Savoir Progresser.
Tout d'abord, je tenais à vous dire que je partage totalement le point de vue de l'Extraterrestre. Il se trouve même, qu'il y a un mois (Le 9 décembre exactement), j’ai écrit un article étrangement similaire sur le groupe Facebook des éducateurs du club de rugby dont je suis responsable !
Je voulais partager cette coïncidence avec vous en vous joignant mon article :

 

Comment apprend-on ?

Telle est la question que devrait se poser chaque personne en position d’apprendre quelque chose à quelqu’un.
Un éducateur/entraîneur devrait être en devoir de se la poser. En tant qu’entraîneur, je me pose même cette question régulièrement. Pourquoi ? Parce que je suis aussi en position d’apprenant. Eh oui, malheureusement ou heureusement, je n’aurai jamais fini d’apprendre à entraîner.
Pour comprendre les mécanismes d’apprentissage, il nous suffit d’observer la personne qui peut apprendre le plus de choses possible en temps donné : l’Enfant. Mieux : le Bébé.
Avez-vous déjà observé un bébé qui apprend ? Non ?
Moi non plus.
Par contre, avez-vous déjà observé un bébé qui joue ? C’est plus probable.
En fait c’est la même question puisque le bébé apprend en jouant. C’est d’ailleurs le mécanisme d’apprentissage principal qui a été sélectionné lors de l’évolution du règne animal. Pourquoi ? Parce qu’au niveau neurophysiologique, le plaisir est directement associé au renforcement des connexions neuronales.
Un enfant qui apprend, le plus souvent avant d’avoir été à l’école… (Oui parce que l’enfant n’a pas besoin de l’école pour apprendre, ni même d’enseignant. Les propos sont peut-être choquants ; mais, qui a appris à votre enfant à marcher ou à parler ? Effrayant : l’enfant peut apprendre tout seul !)
Donc un enfant qui apprend seul, fonctionne comme ceci : J’essaie, je rate, J’essaie, je rate, J’essaie, je rate, J’essaie, je rate, j’essaie, je RÉUSSIS et je continue… Surprenant, même quand un enfant réussit, il réessaie sans arrêt pour vérifier si ça fonctionne toujours avec différentes variables. Non seulement l’enfant apprend seul, mais en plus il expérimente avec un protocole scientifique. Incroyable !
Je sais, moi aussi je suis un peu irrité quand mon fils d’un an et demi n’écoute pas mes conseils et continue de se tromper. Et après je ne comprends pas non plus où est son plaisir à reproduire 100 fois un geste qui marche ou à écouter 1000 fois la même histoire alors qu’il devrait avoir compris.
Par contre, moi j’ai peur de l’échec. C’est normal, on m’a inculqué que c’était mauvais et j’étais même sanctionné par une mauvaise note et une bonne punition. Jusqu’à très récemment, je détestais me tromper, et puis j’ai compris que l’erreur était la clé de voûte de l’apprentissage. Comme dit Thomas Edison (l’inventeur) : « Je n’ai pas raté, j’ai juste trouvé 10.000 façons qui ne marchaient pas ! »
Quel rapport avec nous ?
On est censés apprendre à des enfants à jouer au rugby.
Maintenant que l’on sait que les enfants peuvent apprendre seul, on n'a plus qu’à les laisser jouer me direz-vous.
Pourquoi pas ? Ça sera déjà bien plus productif que 10 minutes de monologue sur une situation de 12 minutes.
Mais 2 raisons nous poussent à aller plus loin :
- L’enfant a été conditionné par la peur de se tromper, donc il reproduit sans cesse les mêmes comportements. Quand ceux-ci ne fonctionnent plus, il est bon pour arrêter le rugby…
- Faire vivre à l’enfant des expériences spécifiques (situations) qui vont lui permettre de mettre en place le protocole scientifique (essai/erreur) à volonté sur certains aspects du jeu défini.
Vous l’avez compris, la répétition est donc essentielle à l’apprentissage. Il est également essentiel d’essayer d’autres possibilités, de se tromper, de réessayer, de réessayer avec d’autres conditions, de réussir, et puis de rater et ainsi de suite.
Et l’entraîneur dans tout ça ? Malheureusement il n’est pas au centre de l’apprentissage, en tout cas pas de celui de l’enfant. Par contre, il est au centre de son apprentissage en tant qu’entraîneur.
Mais en ce qui concerne l’enfant, l’entraîneur doit avant tout créer l’environnement favorable à l’apprentissage :
Plaisir, Jeu, Expériences, Répétitions, Réflexion…
Et puis il doit encourager l’initiative, valider les réussites pour les renforcer, encourager à expérimenter d’autres possibilités, susciter la curiosité, encourager la coopération… en un mot : Animer !
Faites-en ce que vous voulez. Soyez tout de même conscients que si les enfants ne prennent pas de plaisir avec vous, ils trouveront d’autres moyens de s’amuser ; mais une chose est sûre, ils n’apprendront pas à jouer au rugby.

Merci.
Cordialement
Charles

 

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